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jueves, 11 de agosto de 2011

Frappes et pulsations


           
            Allumer l’unité centrale et l’écran.
            Seulement quelques secondes.
            « Le pire était déjà survenu », se dit-elle dans une petite voix.
            Pourtant, et pour couronner le tout, le peu de secondes qu’elle devait encore attendre semblaient plus éternelles que celles qui s’étaient écoulées. Elle appelait ça « l’éternité des cinq dernières minutes », sachant que toujours les pires minutes de tout processus (un voyage, une queue, une course…) étaient les cinq dernières, pendant lesquelles on avait si hâte d’arriver à la destination finale, que l’attente devenait insupportable.
             En effet, Amanda avait subi une soirée interminable, infestée de convives détestables, lesquels, comme des requins, se jetaient sur elle avec leurs questions aiguisées qui la terrorisaient plus de ce qu’elles mordaient vraiment. Ensuite, le retour en voiture, plongé comme toujours dans un silence d’outre-tombe, qui semblait faire éco à la morte de leur rapport. Néanmoins, Amanda était déjà habituée à ce silence incommodant et matériel qui, tel des poux sur le cuir chevelu d’un enfant, faisait  que toute l’air pique et même qu’on doive le gratter avec des mots vides pour que le picotement ne gêne plus. Cependant, comme toujours, le grattement ne faisait qu’empirer la démangeaison.
            Dès qu’ils arrivèrent, elle s’assura que tout le foyer s’était endormi. « Tout le foyer » … Amanda s’amusait des mots qu’elle-même utilisait pour faire référence au reste du « foyer » : son mari ; comme si avec cette exagération qui frisait l’hyperbate elle pourrait arriver à combler le vide que cette maison générait dans son âme. Pour être réalistes, oui, son mari s’était déjà endormi et ne se lèverait qu’à quatre heures du petit matin pour boire son verre de lait tiède et se coucher de nouveau, comme toujours à l’aube.
           
            Bienvenue
            Préparation du Bureau…

            Marc était un homme de taille moyenne et d’âge moyen aussi, car il lui était impossible d’éviter sa tendance innée de tenter de trouver toujours le juste milieu de la vie. Une vie sans excès ni accès.
            Par ailleurs, son mari possédait la précision d’une pendule suisse mécanisée - ou, comme elle aimait bien l’appeler « marcanisé »- par l’horloger le plus précis du monde. C’était pour cela qu’il était si facile de deviner sa routine, calculée froidement, avec la même froideur avec laquelle l’expert l’avait fabriquée. Tous les jours Marc se levait à la même heure, faisait sa toilette à la même heure, prenait le petit déjeuner et allait au bureau – tout à la même heure, bien sûr ! Après le déjeuner il appelait toujours sa femme pour lui demander comment se passait sa journée. On n’aurait jamais pu le reprocher d’être un mari désintéressé, sauf que, son intérêt, de même que sa tendresse, étaient fournis au compte-gouttes.
            Après avoir travaillé, l’homme « marcanisé » faisait une heure exacte de sport et, ensuite, la cuisine. À la maison, c’était lui qui cuisinait – pas pour gourmandise ni pour l’amour de l’art, mais parce qu’il aimait bien savoir ce qu’il mangeait ; programmer sa diète de sorte qu’il puisse être sûr d’ingérer tous les nutriments nécessaires, sans trop manger. C’était grâce à cette méticulosité que son épouse se maintenait en forme, ce qu’il tentait de faire avec Amanda, sans aucun succès. Du fait, Marc ignorait qu’en cachette, sa femme se permettait les meilleurs excès : chocolats, glaces, bombons, nutella… Ces gourmandises suppléaient à la douceur que le mari, un homme bas en calories, et donc en goût, lui négligeait.
            Cependant, elle était convaincue que si elle était dodue, ce n’était pas à cause des petits plaisirs auxquels elle succombait, mais à cause de tous les lourds bâillements qu’elle devait avaler chaque fois qu’elle était avec Marc. Du fait, elle était complètement sûre que son ventre n’était pas rempli de graisse, mais d’une masse comprimée de bâillements tassés qu’elle avait engloutis à la va-vite au cours de dix années de mariage.

            Nom d'utilisateur: Amanda
            Mot de passe: *******

            Ok. Maintenant il ne fallait que se connecter à Internet et initier le tchat. Elle avait du mal à croire que le moment était finalement arrivé. L’angoisse qui souvent l’envahissait chaque fois qu’elle n’arrivait pas à se connecter à l’heure convenue avait été plus intense cette fois. Amanda se sentait de nouveau comme une adolescente passionnée pour qui chaque gâchis, même le plus infime, représentait la fin du monde. Tandis que l’ordinateur établissait la connexion, elle ne pouvait pas s’empêcher de penser combien chaque minute était longue, au point qu’elle arrivait à entrevoir un cuisinier malicieux qui prenait les minutes, tel des petites boules de pâte, et les pétrissait petit à petit en les faisant de plus en plus larges et vastes. Elle le voyait, les lèvres courbées dans un sourire picaresque et le visage perlé en sueur, en train de pétrir infatigablement ses précieuses minutes, jusqu’à les rendre si longues et si fines qu’elles n’étaient plus qu’un voile délicat. De cette façon, les heures qu’elle passait sans lui se trouvaient couvertes par ces vastes tulles que le cousiner  maudit pétrissait parcimonieusement et que, à mesure que celles-ci s’accumulaient,  celles-là devenaient de plus en plus floues.

John dit:
Coucou, chérie! Ça va? Tu es un peu en retard, je commençais à me préoccuper… 

Amanda dit :
Ouais…pardon…je…j’ai eu des ennuis pour me connecter…

            Amanda avait de plus en plus du mal à inventer des excuses, parfois elle arrivait même au point de se demander s’il ne serait pas mieux de lui dire qu’elle était mariée. En réalité, ils n’avaient rien…pas encore. Même s’ils étaient tout simplement des amis qui ne se connaissaient que par tchat, la trentenaire ne pouvait pas s’empêcher de se sentir attirée pour ce connaisseur inconnu. John était si sage et instruit que fréquemment elle l’imaginait à l’autre côté de l’écran en train de naviguer avec aisance sur les eaux troubles du savoir, qui devenaient de plus en plus limpides au fur et à mesure qu’il les traversait. Devant lui, elle se pâmait d’admiration, ainsi que –il fallait l’admettre – d’amour.
            Le monde cybernétique, auquel une amie l’avait introduite, lui permit de connaître le méritant de son affection, un homme qu’elle n’était jamais arrivée à imaginer, car les rêves ne sont jamais si parfaits. Seulement quelques semaines avaient suffi pour tomber amoureuse folle de cet inconnu, malgré elle. Amanda avait toujours été fidèle à son mari, aussi malgré elle, et elle se sentait un peu coupable d’être tellement attirée par cet étranger. En plus, elle était toujours très méfiante lorsqu’elle faisait de nouvelles connaissances, surtout en Internet, mais cette fois-ci elle s’est dit « pourquoi pas ? ». Le bonheur lui souriait rarement, et cette fois elle avait l’intention de lui redonner le sourire. Elle ne s’était jamais sentie comme ça. Le fait de ne pas le connaitre personnellement l’avait entourée d’un mystère inconnu duquel elle ne voulait pas se libérer. Le doute ainsi que la magie semblaient être éternels dans leur relation. John ne cessait de la surprendre et Amanda, malgré son âge, se trouvait en train de vivre une expérience complètement inédite.
            Donc, elle a continué à parler avec lui, et plus fréquemment quand son mari lui avait annoncé qu’il partait une semaine à une conférence à l’étranger. Sur quel thème portait-elle ? Sa femme s’en fichait, la seule chose qu’elle savait, c’était qu’elle pourrait parler avec son nouvel ami sans se cacher plus et, donc, causer avec une intensité oubliée d’adolescente. Ainsi, l’amoureuse lui raconta son histoire, sa vie, ses passions qui depuis des années se trouvaient étouffées dans son âme, enfermées à clé dans une boîte de Pandore humaine. Amanda frappait et frappait, de plus en plus vite au fur et à mesure que ses pulsations s’accéléraient. Elle tapait désespérément afin d’écrire tout ce que ses lèvres taisaient, mais ses yeux criaient.
            La trentenaire sentait que, peu à peu, il commençait à la connaitre et, ainsi, elle commençait à renaître, reflétée dans le regard insondable de cet homme. John la découvrait lentement, comme qui boit un café avec toute la parcimonie et la tranquillité d’un sage vieillard. Elle était la tasse ; et le café, son essence, laquelle il buvait petit à petit, en laissant des fines orbites de mousse sur la faïence blanche du godet, jusqu’à arriver au fond. Ainsi il but son extrait le plus doux, cette petite quantité de café sucré que nous tous avons dans le fond de nos tasses.
            Par ailleurs, quand elle parlait avec lui les minutes s’écoulaient si rapidement, que le temps semblait s’être replié sur lui-même et se réduire à la moitié ; comme si les minutes s’étaient placées les unes à côte des autres et marchaient ensemble, main dans la main. Aussi, l’horaire et la minuterie s’étaient enlacés et semblaient danser en cercle, enfermés dans la salle de vals de l’horloge.
            La semaine s’est passée et l’amour semblait non seulement s’agrandir, mais aussi s’approfondir. Chaque fois qu’Amanda faisait une suggestion ou tapait quelque léger flirt, John lui répondait avec des citations, et de vers romantiques –il était tellement instruit !- ce qui dévoilait une claire correspondance. C’était un fait : sa simple présence repaîtrait sa vie et, comme conséquence plutôt psychologique que logique, Amanda laissa les gourmandises, elle n’en avait plus besoin.
            Néanmoins, un jour humide et caniculaire, mais calme –comme ceux qui annoncent la tempête qui, dans ce cas, serait interne – son mari est arrivé. Amanda dut aller le recevoir à l’aéroport où elle le regarda par la première fois : pendant toute sa vie, elle l’avait vu sans jamais le regarder vraiment. Ce fut comme ça que la réalité lui tomba dessus, personnifié dans le corps de Marc. Jamais elle n’avait été si palpable, si vivante. Elle ne voulut jamais retourner à la réalité, mais, malheureusement, la réalité retourna à elle.
            Alors, Amanda prit une décision. Elle voulut proposer à John de se connaitre, de se voir en personne, d’amener leur rapport dans un autre niveau, même si cela se traduisait en un grand risque, un risque qu’elle était prête à prendre. La jeune femme passait des nuits entières en veille et des journées entières en rêves, en train d’imaginer comment serait son avenir. Elle ne pouvait plus attendre. Elle allait finalement et vraiment connaitre son nouvel ami, et après quitter son vieux mari.
            Pourtant et étonnamment, le lendemain John ne fut pas là. Abasourdie, Amanda l’attendit toute la journée, tentant de s’occuper avec des tâches ménagères, mais regardant l’écran toutes les cinq minutes. Ce jour-là, il ne se connecta du tout.
            Ce n’était pas grave, un jour n’était rien comparé à un amour éternel et vrai, se consolait-elle. Pourtant, il n’apparut pas le lendemain ni le jour suivant. « Il aura pris des vacances imprévues et donc, il ne m’a pu rien raconter, se disait-elle, après tout la spontanéité entretient l’amour vivant ». Mais son amant, manquant depuis une semaine, commençait à provoquer son désespoir. Un mois et…rien. Amanda se sentait dominée par la dépression, ainsi que par une nouvelle sorte de solitude, la solitude de ceux qui, jadis, avaient su être accompagnés.

***
            L’agent interactif qui s’en servait d’une combinaison de la technologie du langage naturel de « Converseagent » avait été déconnecté. L’expérience était finie. Ce type de robot intelligent désigné pour engager des vraies conversations avec des êtres humains était un succès.
            Le même jour dans lequel les données de l’expérience furent rassemblées, Amanda reçut un mail dans lequel on lui remerciait d’avoir participé dans celle-là. Ce fut en ce moment qu’elle lit le contenu du minuscule écriteau, qui avait apparu lorsqu’elle s’était registrée au tchat. Rédigé dans une écriture minuscule, il contenait les termes et conditions d’usage lesquels, comme tout le monde, elle avait acceptés sans même pas leur jeter un coup d’œil.
            Dans l’avant-dernier paragraphe, uniquement dans une ligne, on informait que certains utilisateurs n’était pas humains, mais « agents intelligents », car il semblait qu’utiliser le mot « robot » pourrait répandre la panique. Pourtant, la parole n’effrayait pas Amanda le moins du monde.
            Ce n’était pas la première fois qu’elle tombait amoureuse d’un robot, se dit-elle, résignée. Alors, les pensées infestées d’amertume et d’un dépit infondé, Amanda ne put pas s’empêcher de se demander, avec un arrière-goût d’ironie et sadomasochisme, qui était le vrai automate : son amant robot ou son mari humain ?

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